Exposition "FAITES UN REVE AVEC CHOMO" Château de Tours 5 déc 2015-14 fév 2016
Il vivait seul dans la forêt. Il a créé des chefs-d’oeuvre
CHOMO par Claude et Clovis Prévost.

Franchie la frontière, voici le royaume de Chomo. On arrive sur le bord d'un autre monde. C'est le commencement d'une architecture de rêve.

« Ici vilage dar preludien » placarde Chomo à l'entrée de son royaume. En cette région frontalière de l'exclusion, s'annonce et s'exerce l'initiation au commencement d'un autre moi-même, à un art de vivre parallèle de forme libre exemplaire : une remontée vers l'ineffable transcrit ici dans un langage antérieur aux codifications. Un langage à l'état natif et parlant où matière et pensée passent de l'inertie à la vitalité, du chaos et du déchet au cosmique pour engendrer un autre monde, celui de la création.

Village et royaume sont des figures cosmogoniques fondatrices où se manifestent la puissance et la souveraineté du dire et du faire originels d'un commencement. Commencer, toujours commencer ! Je suis comme les abeilles, c'est une joie pour moi de commencer... Commencer c'est-à-dire exister comme origine et à partir d'une origine, par une expérience sensible qui retourne tout, en position de rejet et de rupture totale, dans l'exercice de la liberté du moi qui est le commencement même. Etre sa propre source...

De son nom d'état civil, Roger Chomeaux ne retient que l'écho des sonorités, la valeur initiale des assonances, le pouvoir évocateur des voyelles. Il se dépouille jusqu'au noyau du nom, jusqu'à la racine, et signe trois « O » traversés par la flèche de la parole : une interpellation, une signification neuve immédiate, sa pensée-lumière en mouvement. Une mise à nu : Roger-des-Aurores, Chomo, O O O. L'effigie des trois cercles désigne des cycles d'évolution terrestre, des perfections cachées. Cercles magiques d'attachement à l'invisible et cordons de défense. Par là Chomo dit et répète son référent essentiel : l'origine matricielle, ultime et absolue. L'écart est originaire. Passage dans un autre monde individuant, éternité véritable. Toucher sur terre une autre planète.

Car Chomo dans le dire et l'écrire nous ramène au plus près de l'origine et de l'état naissant vivant en s'exprimant hors tout lieu : O O O. Il n'y a plus de différence entre l'acte de s'atteindre et l'acte de s'exprimer - poème, insulte ou parole persuasive.
Les manuscrits de Chomo sont du côté de la parole de rupture, de la violence, et se situent non pas dans un face à face mais dans un espace essentiellement asymétrique. L'invention d'un code alphabétique et d'une transcription personnels rend ses écrits malaisés à déchiffrer et cette invention d'écriture a certes une fonction d'avertissement, de mise en garde. Mais elle est d'abord une pratique de la pauvreté et de la limite, une ascèse et la production d'un hermétisme poétique : elle accompagne le franchissement d'une frontière, un retour aux éléments primordiaux, à un occultisme naturel originel. Le texte aux impulsions oniriques recourt à l'écriture majuscule injonctive et fraye avec chaque mot-image souligné d'un trait les rythmes d'une substance sonore : on y entend la voix scander des associations de sons et de sens oubliés, les mots dénudés à l'extrême. Le protolangage spontané, sauvage et sacré du poète illettré avant que tout ne devienne abstrait, conventionnel, explicite.

« Le commencement est l'essentiel de la conscience ». Ainsi Chomo ne perçoit et n'exprime la réalité qu'à travers des cosmogenèses. Sa pensée est articulée comme un mythe transfigurant l'origine dans le commencement et la reprise répétitive du récit. Sur le chemin qui de la route du Vaudoué mène à la frontière. Quand à quatre-vingt-deux ans il entreprend de faire retour sur son œuvre peinte et sculptée qu'il met en scène avec un film, interminable maelström d'images de lumière. Ou bien lorsque dans un face à face entre plaisir et horreur il reprend inlassablement l'empreinte ambiguë de son visage ; l'épreuve qu'il en retire est l'espace noir d'où émerge toute vie-lumière, le germe-œuf-chaos, le vide infini, l'anneau-zéro. La flèche est l'indice d'une traversée des contraintes et des contraires, d'une parole dissidente, de la volonté d'aboutissement de son identité profonde : Le fou est au bout de la flèche. Là il se désigne dans sa différence un mourir et un renaître possibles en métamorphose : Ici j'étais boucher, là fonctionnaire. Maintenant je suis poète, quelle évolution ! Infinition contradictoire et infinie. Différences et répétitions. Une naissance continuée comme l'œuvre même.

Récupérer, réassembler, staffer. Toute sa vie œuvrante, toute sa capacité procréatrice tentent et célèbrent la symbiose de tous les possibles entre magie et puissance : la recherche d'un univers perdu, une réincarnation lumineuse à travers l'expérimentation de l'ordre du vital généré depuis le chaos : Je vis et je crée à partir des déchets, à partir de rien. Etre prince dans la nuit quand on mendie le jour.

Une étoile est apparue à Chomo : cette proto-étoile de lumière le guide dans le domaine du stade premier. Créateur, « an-artiste » total, il cherche à vivre et exalter le moment même où la création s'effectue à travers la proto-matière vivante en formation quand tout y tournoie en boule d'énergie dans une tension de recommencement infini. Retourner au noir, retourner aux sources pures.

© Texte de Claude Lenfant Prévost
Texte chapitre CHOMO, in « Les Bâtisseurs de l’Imaginaire »,
Eds de l’Est. 1994.
Texte de Claude Lenfant Prévost et photographies de Clovis Prévost.
Et transcriptions de la « parole vive » de Chomo.