Des
milliers de visiteurs, de toutes conditions, ont été admis, au fil des
ans, dans le territoire mythique de son Village d’Art Préludien, sur la
commune d’Achères-la-Forêt, non loin du Cyclope de Tinguely et de la
chapelle Saint-Blaise-des-Simples, où est enterré Cocteau, à
Milly-la-Forêt. D’Angleterre, des Etats-Unis, d’Allemagne, du Japon, la
télévision est venue filmer l’Eglise des Pauvres, le Sanctuaire des
Bois Brûlés ou le Refuge, trois chefs d’œuvre de l’architecture
spontanée de Chomo, réalisés, comme toute son œuvre, en matériaux de
récupération : bois morts de la forêt, grillage, plâtre, bouteilles,
tôles de voitures, glanés dans les sous-bois, les décharges publiques
et les casses automobiles des environs.
Déjà,
en 1960, les derniers surréalistes, André Breton, Dali, Joyce Mansour,
Henri Michaux, mais aussi Cocteau, Anaïs Nin, le peintre Atlan, les
galeristes Claude Bernard et Iris Clert ou même Picasso, avaient
admiré, à Paris, les Bois Brûlés de Chomo, ses assemblages de verre et
ses toiles lacérées, dans l’unique exposition qu’il devait consentir
avant de se retirer du monde. Par la suite, sur les traces de Clara
Malraux, mandatée en son temps par le Ministère des Affaires
Culturelles pour faire protéger le site à ses débuts, des personnalités
aussi différentes que Bernard Anthonioz, Jacques Attali, Henri-Claude
Cousseau, Jean-Hubert Martin, se sont rendues dans le « Royaume » de
Chomo, pour voir de plus près celui qui se disait aussi médium et
guérisseur et vivait dans une telle symbiose avec ses abeilles qu’une
séquence « choc » lui a été consacrée, en 1965 dans un film d’Edouard
Logereau, Paris-Secret.
Bernard
Lassus, Michel Ragon, les peintres Jean Revol, Lisette Combe et Jean de
Maximy, le sculpteur Josette Rispal, les photographes Jean-Paul Vidal,
Marcus Schubert, Jean-Claude David, Pascal Brousse, Minot-Gormezano, le
psychiatre Gaston Ferdière, Michel Thévoz, de la Collection de l’Art
Brut de Lausanne, Jean-Paul Favand du Musée des Arts Forains, John
Maizels, de la revue internationale Raw Vision, et beaucoup d’autres
ont été parmi les admirateurs et défenseurs de l’univers de Chomo.
Clovis Prévost et Antoine de Maximy lui ont consacré un film. J’ai
moi-même recueilli les souvenirs et les pensées de Chomo, dans un livre
iconoclaste publié en 1978. France Inter, France Culture, Radio
Libertaire sont venus enregistrer la poésie sonore, les musiques
expérimentales et les propos détonants de cet écologiste avant l’heure,
grand pourfendeur de la société de consommation, auquel une Fondation a
même été un temps dédiée, destinée à protéger le lieu et l’oeuvre de
Chomo.
Mais
Chomo était un irréductible, et s’il avait décidé de poursuivre son
œuvre en-dehors du circuit des galeries et du marché, payant sa
rébellion au prix fort de l’inconfort et de la solitude, c’était pour
préserver sa liberté totale d’esprit et de création, pour pouvoir sans
entraves enseigner sa voie à tous ceux qu’il prenait au piège de son
rêve, et pour rester jusqu’au bout fidèle à sa révolte contre une
société qu’il estimait gravement dévoyée, sur une planète elle-même en
grand danger.
Depuis
dix ans, l’univers de Chomo n’est plus accessible au public, et ce
créateur inoubliable, ce visionnaire tourmenté par tous les excès de
l’inspiration, auteur de centaines d’expériences de tous genres en
sculpture, peinture, poésie, musique, cinéma, est en passe de
disparaître de l’écran de nos mémoires. Il était temps que la France
reconnaisse le génie de cet artiste extraordinaire, trop longtemps
cantonné dans les curiosités du bord des routes, et rende hommage à
celui que le chanteur britannique Jarvis Cocker, dans son road movie
Journeys into the Outside (Voyages dans l’ailleurs), tourné l’année
même du décès de Chomo, considérait déjà comme un monument du XXème
siècle. Ce sera l’honneur et la fierté de la Halle Saint Pierre d’avoir
eu, la première, ce souci et ce privilège. Puissent, dans cette lancée,
les pouvoirs publics prendre les décisions qui s’imposent afin de
consacrer à Chomo, sur le lieu où il a vécu, le musée qu’il mérite.
Laurent
Danchin