Comme Picasso, Paul Klee, et même Dubuffet, Chomo avait une excellente formation académique au départ, et il avait, dans les écoles d’art, gagné de nombreux prix. Ses œuvres de jeunesse témoignent d’une maîtrise innée des volumes et d’un sens plastique exceptionnel. Comme la plupart des artistes de l’art moderne, c’est donc par choix qu’il s’est éloigné peu à peu de la figuration réaliste, s’orientant toujours plus définitivement dans les contrées de l’imaginaire et du rêve. « J’ai mis quarante ans, aimait-il dire, à me décrotter des académies, et à comprendre que l’art, ce n’était pas la figuration de ce qui est, mais de ce qui pourrait être. L’art c’est concrétiser du rêve. ».
C’est parce qu’il avait adopté un mode de vie très marginal, qu’il avait construit, presque avec rien, des bâtiments spectaculaires et qu’il utilisait exclusivement les matériaux de récupération, comme quantité d’autres créateurs, eux autodidactes et dépourvus de la science dont il avait la maîtrise, que Chomo a été longtemps réduit à la catégorie des « bâtisseurs du rêve » et son œuvre abusivement assimilée à l’art autodidacte et à l’art brut. Alors qu’il s’agissait en réalité d’un véritable artiste, très savant et conscient de l’être. Mais il est vrai que son mysticisme, ses croyances spirites ou animistes, et sa fidélité sans faille à ses origines le rapprochaient plutôt du côté modeste de l’art brut que de l’art mondain, intellectuel et bourgeois qu’il détestait dans les villes. Et il n’était pas possible, évidemment, de lui trouver une place dans l’art contemporain au sens habituel, tant ses créations, cultivant le caractère intuitif, voire organique, sont à l’opposé de toute approche conceptuelle. Si l’assimilation de Chomo à l’art brut relève donc plastiquement d’un malentendu, sur le plan social et humain, elle signifie quelque chose. Car Chomo se voulait aussi un enseignant et toute son œuvre milite pour un art populaire, c’est-à-dire un art pouvant toucher toutes les catégories de la population.
Laurent Danchin